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Thierry Rieser : « La politique de rénovation est le combat d’après »

16 JANVIER 2020 - CFP

Le 14 janvier, le couperet est tombé : le coefficient de conversion entre énergie primaire et énergie finale de l’électricité sera bien de 2,3 dans la prochaine RE 2020 (contre 2,58 pour l’ancienne RT 2012) et son facteur d’émission de CO2 actualisé à 79 g/kWh, au lieu de 210. En fin d’année, Thierry Rieser a été à l’origine d’une lettre ouverte signée par près de 1 500 professionnels afin de mettre le doigt sur la réduction des ambitions de la future RE. Il nous fait part de sa déception.

Thierry Rieser

CFP : Quelle a été votre réaction à l’annonce du gouvernement ? (lire ici)
Thierry Rieser : De la déception, bien sûr, et même de la colère. Il y avait beaucoup d’attentes. La pétition, largement signée, avait ouvert la porte, fin 2019 et tout début 2020, à des entretiens très intéressants avec les pouvoirs publics (conseillers ministériel, DHUP, DGEC…). La bonne nouvelle que j’espérais au pied du sapin n’est pas arrivée… Sans compter l’argumentation assez pauvre du communiqué diffusé par le gouvernement qui laisse transparaître une vision politique de la transition énergétique hyper « carbo-centrée » et pas du tout dans une approche de sobriété et d’efficacité. Il est difficile de s’empêcher de penser que derrière cette décision existe en filigrane la volonté de justifier la prolongation du parc nucléaire, voire la relance de nouveaux EPR. Ce qui amène beaucoup de questions sur les déchets, le coût de ces équipements…

 

En quoi l’argumentation du gouvernement ne nous convainc pas ?
T. R. :
Si le gouvernement voulait seulement décarboner le chauffage, il n’y aurait pas eu besoin de tricher à ce point sur les indicateurs pour que le chauffage électrique performant gagne. Présentement, tricher à ce point ne peut servir qu’à rouvrir la porte au radiateur électrique. Il s’agit de la revanche du grille-pain sur la RT 2012. Nous pensions que le dialogue était possible. Or la déception est à la hauteur de l’ampleur de l’expérimentation E+C- et des travaux de concertation. Je ne vous cache pas que cela fait un peu peur. Si toutes les concertations se passent de la sorte, cela en dit long sur la capacité d’écoute et de prise en compte des retours de terrain de la part de ceux qui nous gouvernent.

 

Les partisans de ces nouveaux indicateurs laissent entendre qu’ils permettront de favoriser des équipements comme les pompes à chaleur, qu’en pensez-vous ?
T. R. :
Je me mets à la place d’un maître d’ouvrage visant le strict respect de la RE2020 (je ne parle pas de ceux qui nous emmèneront plus loin que la RE 2020 car heureusement ils existent), soit pour des questions de budget, soit parce qu’ils ne s’intéressent pas à la consommation d’énergie des futurs occupants : l’équation est simple. Ils n’investiront pas des milliers d’euros dans des systèmes thermodynamiques si le radiateur électrique passe dans le calcul. Malheureusement, la tentation du grille-pain va être trop forte pour beaucoup d’acteurs.

 

Quelle est la prochaine étape ?
T. R. :
Les travaux du groupe de travail Applicateurs ont commencé début janvier. Les résultats sont attendus pour fin février. Ce sont les nouveaux indicateurs qui sont dans les calculettes, ce qui laisse penser que le choix du gouvernement est désormais irréversible. Sans plus parler d’espoir, j’ai peut-être encore une attente dubitative au regard d’un échange que j’ai pu avoir avec la DHUP, m’assurant que même avec les nouveaux indicateurs, les seuils seront calés de façon à ce que les radiateurs électriques ne passent pas. Reparlons-en fin févier, mais cela m’étonnerait vraiment que les concepteurs, poussés par des maîtres d’ouvrage voulant construire à moindre coût, ne trouvent pas la faille pour faire passer le radiateur électrique.

 

Quelles autres conséquences voyez-vous à cette décision ?
T. R. :
La question de la pointe électrique hivernale va rapidement se présenter… Nous avons le pire gradient thermique d’Europe, de 2400 MW par °C (en hiver, chaque fois que la température baisse de 1°C il faut allumer 2400 mW de centrales, soit l’équivalent de plus de 2 tranches nucléaires en plus). La RE 2020 va donc contribuer à augmenter encore ce gradient thermique, ce qui est proprement hallucinant. En outre, les conséquences sur le DPE seront également négatives. Il n’y a pas de raison que le taux de 2,3 s’arrête à la réglementation du neuf. Or si l’Etat transpose ce taux sans changer les seuils du DPE, les logements de classes F et G chauffés à l’électricité passeront sous la barre de la classe F. Et, d’un seul coup, l’obligation de rénover à 2025 disparaîtra comme par enchantement, ce qui ne changera pas les conditions de précarité énergétique des occupants de ces logements, évidemment, et aura de graves conséquences sur la politique générale de rénovation. C’est le sujet d’après. Pour la RE 2020, les dés sont jetés, donc rendez-vous au moment des résultats des travaux du GT Applicateurs. Mais le combat d’après sera le plan de rénovation et faire en sorte qu’on ne déshabille pas le peu d’outils dont on dispose – aussi mal fichus qu’ils soient mais qui ont le mérite d’exister – afin qu’on ne perde pas l’ambition de rénover le plus vite possible le parc des passoires thermiques.

 

Pour lire l’interview de Thierry Rieser en fin d’année : ici.

 

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