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Thierry Rieser : « Nous voulons une réglementation ambitieuse »

05 DÉCEMBRE 2019 - CFP

Un mouvement est en marche. Plus de 1 300 bureaux d’études, architectes, associations et autres professionnels du bâtiment performant rejoignent Thierry Rieser (Enertech) et signent la lettre ouverte mettant le doigt sur la réduction des ambitions vers laquelle semble s’orienter la future RE 2020, diffusée le 26 novembre. Alors que l’Etat assume encourager l’usage de l’électricité dans les bâtiments, l’incompréhension des professionnels se propage. Interview de l’auteur de ce communiqué en train de devenir un manifeste.

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CFP : Votre communiqué circule énormément et des réponses politiques commencent à apparaître. Comment réagissez-vous ?
Thierry Rieser : Ce texte a en effet un véritable écho, ce n’est plus seulement mon texte. La réponse politique, avec notamment la prise de parole d’Olivier David, de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), est le témoin d’une incompréhension globale de notre intention. Quand je vois Philippe Pelletier, président du Plan bâtiment durable, assimiler ce texte à l’association Négawatt, c’est hors de propos. Les membres de Négawatt doivent représenter 10 % des signataires de la lettre, tout au plus. C’est une façon de déplacer sur le débat vers un combat « nucléaire/pas nucléaire » alors que ce n’est pas le sujet. Je tiens à préciser que nulle part dans ce texte il est dit que nous sommes contre le chauffage électrique. Nous disons bien qu’il est nécessaire de décarboner l’énergie de chauffage. Nous disons simplement qu’il ne faudrait pas le faire sur le pire usage de l’électricité qu’est le radiateur électrique mais plutôt sur les pompes à chaleur, qui sont un moyen intelligent d’utiliser l’électricité. L’électricité est trop précieuse pour la mettre seulement dans un grille-pain, qui ne permet de récupérer que si peu d’énergie par rapport au potentiel que l’électricité a.

Comment expliquez-vous cette incompréhension ?
T. R. : Je ne l’explique pas ! Nous avons là quelque chose qui est au-delà du rationnel, au-delà de la physique et, n’ayons pas peur des mots, de l’intérêt général de la transition écologique. On nous dit publiquement que l’on veut généraliser la pompe à chaleur mais dans les faits, si cette volonté était réelle, il n’y aurait pas besoin de tricher avec les coefficients d’énergie primaire et d’émission carbone. Nous sommes encore face à une distorsion entre le discours sur l’intention et ce qui se passe techniquement. L’argument des « pro élec » disant qu’un radiateur électrique doté d’une bonne régulation consomme moins qu’avant est en partie vrai, oui, mais, au maximum, on n’obtiendra jamais plus de 1 kWh de chaleur pour 1 kWh d’électricité de cette façon, là où la pompe à chaleur permet d’en récupérer au moins trois. Et il faut rappeler aussi que l’électricité de pointe pour le chauffage en hiver n’est pas d’origine nucléaire mais produite ou importée par des centrales les plus carbonées (charbon, fioul…). C’est donc un contre-sens de développer le chauffage électrique non performant avec la volonté de décarboner le chauffage.

L’expérimentation du label E+C- a démarré en 2016 et les concertations ont été longues et nombreuses…Tout ça pour ça ?
T. R. :
La déception est en effet à la hauteur des attentes. Nous croyions avoir été entendus, nous avons pu discuter très librement et là-dessus je rejoins Philippe Pelletier quand il parle d’une concertation « extraordinaire », que je qualifierais pour ma part d’exemplaire. Et maintenant, c’est comme si l’Etat faisait fi de tous ces travaux et souhaitait passer aux choses sérieuses sans prendre en compte tous ces échanges. C’est assez désagréable pour l’ensemble de la profession. Une vraie douche froide.

Votre texte évoque un taux de conversion acceptable de l’électricité à 2,74, quand un taux de 2,3 semble se confirmer…
T. R. :
C’est évoqué, même si je n’ai pas voulu orienter le texte uniquement sur ce point. Le taux de 2,58 est déjà un compromis arbitraire, les graphiques de la DGEC montrent eux-mêmes que cela fait plus de dix ans que nous sommes déjà au-dessus. Augmenter le taux à 2,74 est loin d’être consensuel mais ce serait une demande légitime en prenant en compte la vérité physique. En comparaison d’un taux à 2,3, le statu quo du 2,58 serait déjà satisfaisant, plutôt qu’une dégringolade injustifiée.

Parmi les autres points d’achoppement que vous soulignez, la disparition du bilan Bepos…
T. R. : Il s’agit d’un point presque aussi symbolique que technique. Le bilan Bepos était l’indicateur phare du label E+C-, pour rappel : E+ = énergie positive. Le faire disparaître envoie quelque part le signal que l’on renonce à cette ambition de tendre vers les bâtiments à énergie positive en 2020, voulue par la loi Grenelle 1. L’expérimentation a permis de montrer qu’atteindre 100 % de bâtiments réellement à énergie positive, donc au niveau E4 du label, est très compliqué, voire impossible à partir d’un certain nombre d’étages. Je fais d’ailleurs partie de ceux qui comprennent et acceptent depuis le début cette impossibilité… Mais au moins nous avions une définition posée de ce qu’est le bilan Bepos, de quoi il est composé, avec une réalité physique du bâtiment dont tous les usages sont pris en compte. Et même si c’est de façon forfaitaire, c’est déjà très bien. Nous avions un cadre qui donnait une existence réglementaire à la notion de bâtiment à énergie positive. Si l’on renonce à cela, on reste sur la performance des bâtiments sur 5 usages seulement, soit une amélioration incrémentale de la RT 2012, point.

Le 6e usage, qui avait fait débat à son apparition au début de l’expérimentation, semble lui aussi réglé de façon radicale ?
T. R. :
En le faisant disparaître des bilans énergétiques, oui ! Mais le 6e usage ne disparaît pas complètement… Il y a une sorte de tour de passe-passe qui consiste à le prendre en compte dans le calcul de l’autoconsommation. Donc on garde les AUE comme un indicateur caché permettant de réaliser le calcul d’autoconsommation mais, quand même, à la fin, le bilan Cep ne se fait que sur les cinq usages réglementaires. Je ne comprends plus du tout ce périmètre à géométrie variable. Parce que la réalité, c’est que la consommation majoritaire du bâtiment, ce sont les autres usages. Il faudra bien un jour que l’on se mette à travailler dessus. D’ailleurs l’Europe ne nous a pas attendus, les étiquettes énergie des appareils électro-ménagers tendent totalement vers ça et ont permis de baisser de façon significative les consommations sur ces postes. Donc des réponses politiques allant dans ce sens sont possibles.

Vous parlez de « photovoltaïque-bashing »…
T. R. :
Oui, du fait que l’électricité produite et exportée n’est pas valorisée du tout. Dans le label E+C-, elle était valorisée avec un coefficient d’énergie primaire de 1 et pas de 2,58, ce qui était déjà assez pénalisant mais, à la limite, pourquoi pas, si l’on considère une sorte d’effet amortisseur… Mais passer de 1 à 0… Les électrons ainsi produits sont-ils de si mauvais électrons qu’ils ne valent pas la peine d’être valorisés ? Nous sommes déjà totalement en retard sur nos objectifs, nous étions censés être à 20 % d’énergies renouvelables en 2020 et nous en sommes très, très loin. Même tendance sur l’impact carbone des capteurs PV. Ce volet nécessiterait une grande remise à plat, c’est très technique. Mais ce n’est peut-être pas l’urgence du moment.

Quelle est l’urgence ?
T. R. :
Les travaux du groupe de travail de bureaux d’études Applicateurs vont démarrer début décembre et les résultats seront rendus en mars. Ils vont prendre des bâtiments test, réaliser de nombreux calculs de calage pour fixer les seuils visés par la réglementation. Cela veut dire que si le taux de 2,3 est bien confirmé d’ici là et que le bilan Bepos disparaît, ce sera irréversible. Ces orientations, qui arrivent déjà bien tard au regard de la durée de l’expérimentation et de la concertation, seront gravées dans le marbre. Il est urgent de laisser un maximum de possibles ouverts, donc de calculer le bilan Bepos, peut-être de calculer à la fois avec 2,58 et 2,3… Je crois que les décideurs n’ont pas réalisé à quel point ces détails techniques creusent un fossé entre l’ambition politique de construire des bâtiments performants sur les plans énergie et carbone et la réalité de ce qui se joue dans les textes. Nous espérons donc de nouveaux arbitrages avant mi-décembre car nous sommes nombreux dans la profession à vouloir une réglementation ambitieuse.

 

Pour lire la lettre ouverte : https://lebatimentperformant.fr/actualites/re-2020-ca-rue-dans-les-brancards/1/2938

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