Alors que d’importants travaux se profilent dans le cadre du projet Grand Paris – et ses plus de 60 gares prévues –, une question légitime se pose du côté des entreprises générales : qui va réaliser ces travaux ? Le recours à la sous-traitance sera semble-t-il nécessaire, mais quelle sous-traitance ?, s’interroge Laurent Denovillers d’Eiffage Construction, également président de l’Amicale Max’P.
CFP : Quel est le constat qui vous a amené à vous interroger sur cette question de la sous-traitance ?
Laurent Denovillers : Le projet du Grand Paris, même s’il s’agit pour la plupart de travaux d’infrastructures, va drainer tout autour des gares, notamment, des constructions en superstructures. Je me demande si nos entreprises de couverture/plomberie/chauffage classiques auront les moyens humains d’effectuer ces travaux. Sans doute pas. Il faudra donc faire appel à de la sous-traitance et on peut légitimement s’interroger sur la valeur de cette sous-traitance. Nous le voyons bien, sur nos chantiers, ce n’est pas toujours la meilleure sous-traitance à laquelle on peut faire appel.
C’est souvent, bien sûr, une question de prix. Chez Eiffage Construction, nous travaillons aussi bien avec des entreprises qui ont pignon sur rue, connues et reconnues, qu’avec aussi, parfois, malheureusement, de petites structures à bas prix, qui n’en font que pour l’argent qu’on leur donne.
Par conséquent, on assiste à une multiplication des interventions de SAV derrière parce que le chantier n’a pas été correctement réalisé. Ou, s’il l’a été, les essais en fin de chantier n’ont pas été faits, ou mal faits. C’est sans doute ce qui fait la différence entre cette entreprise qu’on aura choisie parce que peu chère, et l’entrepreneur classique qui, lui, aura prévu les actions nécessaires.
Cela veut donc dire que d’une façon générale, les budgets prévus pour les travaux ne sont pas suffisants ?
L. D. : En effet, ils le sont rarement ! En coût global, je me dis que c’est dommage de toujours raisonner chantier et résultats de chantier, avec les comptes arrêtés à la fin des travaux. Cela revient à toujours tirer les prix vers le bas. Si l’on se place du côté du maître d’ouvrage, les budgets ont l’air suffisants puisque finalement, on trouve les entreprises pour effectuer les travaux. Mais on s’aperçoit rapidement que, d’une façon générale, la qualité n’y est pas. Il y a toujours des exceptions, bien sûr, et heureusement. Récemment, j’étais sur un chantier réalisé par un installateur modeste, aux tarifs peu élevés, et il n’y avait rien à redire, tout était très bien fait. Mais avec tous ces chantiers qui vont arriver dans le cadre du Grand Paris, ce serait peut-être l’occasion de remonter un peu le marché vers le haut, et en faisant ce que l’on doit faire correctement, avec des installations mises en œuvre et mises en service dans les règles de l’art.
Le surcoût de SAV induit par la mauvaise qualité des installations n’est-il pas un argument suffisant pour inciter les maîtres d’ouvrage à prévoir une enveloppe plus importante pour les travaux ?
Certains maîtres d’ouvrage l’entendent, oui. Mais il s’agit de lignes budgétaires distinctes : le coût de la construction est une chose, le budget de fonctionnement une autre. En exagérant un peu, à peine, on se dit : pour la maintenance, on verra après, quitte à refaire l’installation ! J’ai déjà entendu des bailleurs dire qu’il leur était arrivé de refaire entièrement une chaufferie – sur le budget de la maintenance – parce que la façon dont cela avait été fait ne plaisait pas à la personne chargée de l’entretien ! Ils savaient que derrière ils auraient beaucoup de frais de maintenance et ont préféré prendre cette option. Dans certains cas, tout de même, certains évoluent vers une réflexion en coût global.
Finalement, le projet Grand Paris ne fait que cristalliser des problématiques existantes...
En effet, cela fera sans doute mal aux entreprises que j’appelle «classiques», mais cela existe depuis longtemps. Pendant ce temps, elles ne décrochent pas les chantiers parce qu’elles sont trop chères. On voit même souvent le cas où on va les rechercher pour terminer le chantier... Cela frise l’absurde, non ? Elles se retrouvent face à de petits installateurs attirés par le chiffre d’affaires, proposant des prix défiant toute concurrence, selon l’expression consacrée, mais qui n’ont ni la structure ni les équipes adéquates. Cela en a d’ailleurs fait plonger beaucoup...
Comment les entreprises peuvent-elles réagir pour faire légitimement accepter leurs prix ?
Il faut faire passer le message de l’importance de raisonner en coût global, et mettre en avant le service. Cela commence à faire son chemin auprès de certains maîtres d’ouvrage, et les exigences de performance énergétique et de réduction des consommations aident à cela. Mais la route est encore longue. Au sein d’Eiffage Construction, nous travaillons avec quelques PME, qui ne sont pas les moins chères, plutôt même sur le dessus du panier lors des appels d’offres. Les clients disent OK, ils sont un peu plus chers, mais nous sommes assurés de ne pas avoir de problèmes. à l’inverse, si l’on estime à 12 000 euros par logement le coût du lot plomberie/CVC, on observe des chantiers traités à 10 000 euros du logement. Le maître d’ouvrage se dit «si c’est possible à 10 000, pourquoi je le ferais à 12 000 ?». Si le respect des normes PMR, acoustiques ou thermiques a été intégré, cela n’a pas pour autant suffi à monter les budgets. C’est ce delta qui est problématique : une entreprise structurée ne peut pas traiter à 10 000 euros du logement, car elle ne va pas gagner d’argent. C’est un peu comme lorsque nous traitions les PPP (partenariats public-privé)... On raisonne différemment lorsque l’on est aussi en charge de la maintenance après le chantier, sur de longues périodes. On s’assure d’utiliser des matériaux durables, par exemple ! De toute façon, le maître d’ouvrage finit toujours par payer la différence. Mais ce sera en SAV. Alors, oui, on va dire au conducteur de travaux de l’entreprise générale que, certes, il a un budget de 10 000 euros par logement pour le lot CVC, mais que s’il arrive à tomber à 9 500, voire à 9 000, il aura une prime. Il trouvera l’installateur pour le faire à 9 000 et après, un autre service devra gérer la suite...
Quel est le positionnement des bureaux d’études sur cette question ?
Ils sont conscients de ça, bien sûr, mais ils sont au service de leur client maître d’ouvrage. Lorsqu’ils reçoivent les offres des entreprises, si l’une d’elles est 15 à 20 % moins chère que les autres, ils vont alerter leur client en leur disant : «Ils ne sont pas chers mais voilà pourquoi ils ne sont pas chers : ils n’ont pas compris certains des éléments demandés ou ils ne feront pas les essais en fin de chantier...». C’est tout ce que le BE peut faire, il n’a pas le pouvoir de désigner un sous-traitant. Il peut seulement orienter son client, mais c’est ce dernier qui décide.
Laurent Denovillers (Eiffage Construction), président de l’Amicale Max’P.
Article paru dans CFP no 815 (novembre 2017)